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Tu seras un homme mon fils …

Témoignage sous pseudonymes pour préserver l'anonymat de Victor et Lisbeth.

T

out d'abord pourquoi ce titre ? Parce que ce poème a toujours été mon poème préféré, il a été longtemps au-dessus de mon lit, parce qu'il sera bientôt dans la chambre de Victor et parce qu'un des vers nous correspond tellement : « Et, te sentant haï sans haïr à ton tour, pourtant lutter et te défendre ».

Première année, des débuts difficiles

Victor, notre unique enfant, est né avec 5 semaines d'avance, après une grossesse assez difficile, et longuement désirée, mais pesait tout de même 3 kg 200 et n'a pas eu besoin de couveuse.

Il avait du mal à téter et pleurait beaucoup. Les puéricultrices nous avaient dit que les « prémas » avaient besoin de beaucoup de contact, nous l'avons donc beaucoup pris dans les bras, je me baladais toute la journée avec mon fils collé sur moi dans une écharpe « kangourou ».

Bébé en pleurs dans un landeau

À 4 mois, Victor ne dormait que sur son papa ou sur moi, il pleurait sans cesse et semblait souffrir des fameuses « coliques du nourrisson ». Nous avons tout essayé pour le soulager : homéopathie, médicaments contre le reflux, ostéopathie, régime sans protéines de lait de vache pour moi car je l'allaitais … rien n'y faisait. Pourtant, miraculeusement les pleurs cessaient toujours lorsque nous le prenions dans nos bras et que nous le bercions.

Je n'arrivais pas à capter son regard alors que je voyais bien que c'était possible avec les enfants du même âge. Je me suis vue dire à mes proches « il n'est pas normal cet enfant, il ne me regarde pas, il ne sourit jamais » et l'on m'a répondu qu'il fallait que j'arrête de « psychoter ».

A part cela, c'était un enfant très tonique, qui tenait assis à 6 mois, crapahutait à 4 pattes à 8 mois et a commencé à marcher en se tenant à nous à 11 mois.

A 8 mois, Victor ne dormait toujours pas la nuit plus de 2 heures d'affilées et a commencé à faire des colères noires (à se jeter en arrière violemment ou à donner des coups de pieds dans les barreaux de son parc) quand on ne comprenait pas ou qu'on ne faisait pas ce qu'il voulait.

Nous en avons parlé à la pédiatre (qui m'avait conseillé de ne plus venir aux consultations pour les vaccins, car d'après elle s'il faisait des « crises » lors des vaccins c'est parce que je lui communiquais mon angoisse des piqûres — ravie de l'apprendre, je n'ai jamais eu et n'ai toujours pas peur des piqûres — qui nous a orientés vers une psychologue du CMPP local, pour nous aider à « gérer la relation mère-enfant ».

Pas de miracles de ce côté-là, à part me faire pleurer devant mon fils en me parlant du traumatisme que j'ai vécu enfant lors d'un décès, Victor ne dormait toujours pas et restait très colérique.

Lorsqu'il a eu 10 mois, la psychologue m'a conseillé de « couper le cordon » (j'avais arrêté de travailler après ma grossesse) et de le confier quelques heures par semaine dans une crèche.

Suite aux conseils du CMPP, nous avons donc inscrit Victor dans une crèche, une assez petite structure.

La crèche et la nounou

Après un temps d'adaptation assez long à la crèche (je restais avec lui et le laissais seul progressivement) où je me suis aperçue qu'il ne portait aucune attention aux enfants qui l'entouraient, est venu le moment fatidique de le déposer sans rester. Catastrophe, crises de larmes, Victor se tortillait en hurlant et toute tentative de l'équipe pour le rassurer ou le câliner fut vaine, tant il se débattait pour se sortir des bras des puéricultrices. Après 2 ou 3 séances d'essai, on nous a conseillé vivement de le confier à une nounou, pour un environnement plus familial. Nous ne nous sommes pas fait prier, tant la douleur morale de notre enfant nous semblait grande.

Le pari fut gagné, au bout de quelques semaines un peu animées, Victor s'était détendu chez cette femme formidable, il ne pleurait plus quand je partais et s'abandonnait même à une sieste matinale. Sa nounou était cependant un peu étonnée du comportement de Victor (alors âgé de 13 mois) car il semblait préférer être seul dans un parc plutôt qu'avec les 2 autres petits garçons à peine plus âgés qui eux jouaient volontiers si ce n'est ensemble, au moins l'un à côté de l'autre.

Durant cette seconde année, j'avais remarqué des comportements assez inhabituels chez mon fils. Il se bouchait les oreilles lors de bruits qui étaient anodins pour nous (avion, aspirateur, mixeur …), il tournait aussi beaucoup tout le temps, autour de la table de salon, autour des arbres dans le jardin, sur son lit … et paraissait particulièrement dur à la douleur. Nous avons même eu une fois la mauvaise surprise de lui découvrir une otite « carabinée » lors d'une visite obligatoire chez le médecin. À côté de ces comportements un peu atypiques, il était plutôt en avance, a parlé vers 18 mois et a assez vite eu un vocabulaire très riche : il reprenait, un peu violemment certes, une petite fille de notre entourage quand elle ne prononçait pas correctement à ses yeux le mot « papillon ».

La brûlure

Peu après ses 2 ans Victor a été victime d'un accident médical, il a été brûlé au 3ème degré lors du retrait d'un plâtre, l'interne n'ayant pas pris le temps de le calmer quand il a vu la scie (peut être le bruit l'avait-il affolé ?), et a donc scié le plâtre en maintenant Victor de force !! (alors qu'il était « en pleine crise »). Bilan : une greffe de peau et 3 anesthésies générales.

J'avais remarqué au passage qu'il avait développé une passion pour les chiffres, il fallait le laisser « lire » les chiffres de l'ascenseur de l'hôpital à chaque visite pour ses soins (2 par semaine) sinon on pouvait s'attendre à une « colère noire ».

Après cette greffe et les premiers soins post-opératoires, nous avons eu pour consigne d'éviter que Victor ne s'énerve et ne bouscule trop son bras, pour éviter des complications à la greffe. Je vous laisse imaginer quels ravages éducatifs peuvent avoir ces types de conseils, nous avons presque tout cédé à Victor pendant 2 mois.

Cela a également reculé sa scolarisation car nous avons préféré le garder dans un environnement familial pendant ses soins et sa convalescence, comme je reprenais le travail, Victor a donc été chez sa nounou à plein temps.

Victor s'y est épanoui des ses 2 ans et demi à ses 3 ans et demi, malgré ses « colères » qui devenaient de plus en plus fréquentes et parfois même violentes vis-à-vis des autres enfants, notamment lors des activités communes (chants, danses, etc.). Il ne s'intéressait toujours pas aux autres enfants, à part le fils de sa nounou alors âgé de 8 ans.

Suite aux constats de la part de la nounou et à ce que j'avais pu remarquer, j'ai commencé à avoir de sérieuses interrogations, ayant pu croiser des enfants autistes dans le cadre de mon métier (j'étais animatrice scientifique à l'époque) je me suis convaincue que mon fils l'était.

Je suis donc allée chez une psychiatre qu'on m'avait conseillée pour exprimer mes doutes, Victor avait tout juste 3 ans, mais le problème semblait venir de moi, je me faisais des idées, j'étais en pleine dépression et entamais donc une psychothérapie qui allait durer 2 ans.

L'école maternelle

Victor est rentré en Petite Section à 3 ans et demi, à mi-temps le matin et chez sa nounou l'après midi. Les débuts ont été très difficiles, il pleurait beaucoup, sa maîtresse m'a convoquée assez rapidement (mon mari était en mer) pour me dire qu'il était ingérable et m'a vivement conseillé d'aller me renseigner à l'hôpital de jour.

Isolement dans la cour

Abasourdie, j'en ai parlé à ma psychiatre qui a revu Victor et m'a attesté que son état ne nécessitait pas de prise en charge spéciale. Pour me rassurer et avoir l'avis d'un confrère, elle nous a envoyés au CAMSP où l'on nous a expliqué que Victor « ne pouvait pas être autiste puisqu'il jouait à la dînette (sur la demande de la psychologue) et faisait semblant de boire le thé ».

La maîtresse a donc continué à mettre Victor de côté. Lorsqu'il arrivait en classe, on lui disait de se mettre dans un coin et surtout de ne rien casser, il était exclu des sorties scolaires, il n'avait pas d'amis et devenait violent dès qu'un enfant l'approchait (il mordait, tapait, etc.). Hors de question pour cette institutrice de faire passer le psychologue scolaire, puisqu'elle estimait qu'il était un incapable et qu'elle-même était certaine que l'hôpital de jour était LA solution pour Victor.

La rentrée en Moyenne Section s'est donc faite dans une autre école, qui nous a été conseillée par ma psychiatre. Après seulement 10 jours, la maîtresse voulait nous rencontrer, elle avait eu l'ancienne maîtresse au téléphone mais a vite abandonné l'idée d'y trouver une aide quelconque, mais elle se rendait compte que quelque chose n'allait pas, et n'arrivait pas à gérer « les caprices » de Victor. Cependant, elle semblait sincèrement vouloir aider Victor, et nous a proposé avec sa directrice de faire passer la psychologue scolaire. C'était chose faite 2  mois après la rentrée scolaire. Après un bilan, la psychologue nous a expliqué que Victor était très précoce, mais qu'il y avait dans un même temps des signes d'alertes qui l'amenait à nous orienter vers un médecin du CRA.

En effet, Victor tournait autour d'un arbre dans la cour, il courrait sur la pointe des pieds, il faisait des crises d'angoisses à la cantine et se mettait les mains sur les oreilles en hurlant, il n'avait pas de copains et ne reconnaissait d'ailleurs jamais ses camarades de classe à l'extérieur de l'école et il pouvait parfois être violent, envers les autres (enfants ou adultes) ou envers lui-même (se jetait en arrière n'importe où : cour de récré, escaliers …)

Ce pédopsychiatre nous a aidés dans un premier temps à faire dormir Victor (enfin !) ce qui a eu pour conséquence directe une amélioration de son comportement violent. D'après lui, Victor avait beaucoup de points communs avec le Syndrome Asperger, il nous a donc donné des « clés » pour comprendre un peu mieux notre fils, et nous a invités à des réunions de parents, en attendant la confirmation de son diagnostic par un bilan au CRA. Ce fut une révélation pour le papa qui était jusque là dans le déni de toutes les interrogations que je me posais depuis 4 ans.

Depuis …

Depuis, nous avons eu ce bilan et la rencontre avec ce pédopsychiatre, que depuis nous surnommons avec Victor « Magic'Docteur », a changé notre vie. Nous avons pu expliquer plein de choses à l'école qui s'adapte donc du mieux qu'elle peut à Victor grâce à une équipe pédagogique formidable. Il est passé au CP en anticipé afin de moins s'ennuyer et donc de s'intéresser un peu plus à la vie de la classe ; il peut aussi par exemple aller dans le coin lecture s'il se sent mal. Il a aussi un AVS qui peut l'aider dans sa vie d'écolier et les difficultés scolaires qu'il peut rencontrer (notamment en ce qui concerne le graphisme).

Que de temps perdu, quand je pense que j'avais repéré les premiers signes dès 4 mois … et en même temps je sais que Victor a eu une grande chance d'être ainsi accompagné avant ses 6 ans, tant d'autres ne l'ont pas eue !

Nous allons poursuivre notre combat à ses côtés pour qu'il continue à avoir sa place dans ce circuit scolaire normal, nous l'aiderons à faire de sa différence une force et à ne pas vivre en marge des autres mais parmi eux … il sera un homme mon fils !

Lisbeth, maman de Victor, 6 ans et demi.
(Avec l'accord de son papa – mai 2011)




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