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La scolarisation des enfants autistes

Par le Docteur Éric Lemonnier

Très rapidement, en complément du propos que j'ai tenu ce matin, je vais essayer de réfléchir avec vous à la scolarisation des enfants autistes. Ça peut paraître un peu caricatural de parler aujourd'hui de scolarité pour ces enfants. J'évoquerai ici plusieurs étapes : la scolarité en école maternelle, puis la scolarité en école primaire, puis le collège et le lycée.

Il semble clair que, si l'on envisage la scolarisation jusqu'au lycée, on parle d'autistes de haut niveau ou de patients ayant un syndrome d'Asperger. La situation actuelle porte sur cette réalité. Il me semble évident que si l'on arrive à faire un effort sur le diagnostic le plus précoce possible, que si on met en place des prises en charge orthophoniques adaptées (la méthode PECS, par exemple) visant à leur permettre d'utiliser le langage le plus précocement possible, cette situation de scolarité va se multiplier et l'on devrait sans doute, je suis animé d'un optimisme raisonné, on devrait sans doute arriver à la situation où environ 70 % des enfants autistes devraient pouvoir s'inscrire dans une scolarité traditionnelle.

Vous avez bien compris qu'ils ont des processus de pensée qui sont très différents des nôtres ; il faut pouvoir adapter au mieux la manière de nous y prendre avec eux pour leur donner accès à ce à quoi on cherche à leur donner accès. Vous avez bien compris aussi que, pour ces enfants, être en contact d'enfants au développement traditionnel est absolument fondamental et qu'il faut toujours être avec eux dans un niveau d'exigence raisonnable, adapté. Enfin, qu'est-ce qui se passe quand on pose le diagnostic d'autisme ? Nous sommes engagés, parents, le corps social dans son ensemble, l'école à un moment donné (le moment où l'enfant doit être à l'école), et professionnels dans une lutte acharnée pour essayer d'accompagner cet enfant vers la plus grande autonomie possible. Idéalement qu'il soit, jeune adulte, en position d'être libre de ses choix. Après, ses choix ne me regardent pas, on peut y réfléchir ensemble, mais après tout ça ne me regarde pas.

Pour ce faire, il est clair que c'est encore l'école et les apprentissages scolaires qui permettent d'atteindre cet objectif. Ils ne vont pas tous faire des études universitaires de troisième cycle, mais ça passera quand même par un certain nombre d'apprentissages scolaires. Et donc ça devient fondamental : l'école n'est pas seulement là pour socialiser ces enfants, c'est important, mais on a plein d'autres occasions de se socialiser : la vie de famille, les jeux avec les frères et sœurs, enfin on a vraiment beaucoup d'occasions. L'école est fondamentalement là pour leur permettre d'accéder à des apprentissages du champ de la scolarité.

J'ai évoqué tout à l'heure l'idée qu'ils avaient d'énormes difficultés à mettre en place tout ce qui était apprentissages implicites. Je sépare l'école en plusieurs étapes et je parle maintenant de l'école maternelle. L'école maternelle, et je peux avoir des débats avec les enseignants, ça m'arrive assez régulièrement, est par essence basée essentiellement sur les apprentissages implicites. C'est en collant des gommettes que l'on va finir par dénombrer, etc. Une classe maternelle est une classe qui bouge beaucoup au cours de l'année : on produit des choses, on les accroche, l'environnement change beaucoup et tout ceci évidemment met ces enfants, en termes d'apprentissage, dans des difficultés réelles. Si bien que, à la fin de l'école maternelle la question qui se pose, et que l'on pose pour tous les enfants, est : « est-ce que cet enfant, arrivé à la fin de la grande section de maternelle, a les pré-requis, la capacité à pouvoir suivre une classe de primaire, de cours préparatoire. »

Évidemment que cette réponse peut aller clairement de soi pour les enfants au développement traditionnel, et évidemment que cette réponse ne va pas du tout clairement de soi pour les enfants autistes. D'abord parce qu'ils nous surprennent : par moments, on a l'impression qu'ils ont des capacités, et à d'autres moment on leur demande de nous les montrer ; ils ne nous les montrent pas, donc on ne sait pas s'ils les ont ou ne les ont pas, ils ne les ont pas au bon moment, enfin bon ça ne colle pas. Quand enfin ils nous montrent leurs aptitudes, ça veut dire que les choses se sont organisées de telle manière qu'ils sont dans les bonnes conditions pour pouvoir comprendre ce qu'on attend d'eux, pour pouvoir y répondre.

En revanche, lorsque cela ne fonctionne pas, c'est que les choses ne sont pas organisées dans ces bonnes conditions-là : il y a un bruit intercurrent, une lumière, un détail auquel on ne porte, nous, aucune importance, parce qu'il ne rentre pas dans notre champ de préoccupation à ce moment-là, mais qui prend pour ces enfants une grande importance, et qui va totalement mobiliser leur attention au détriment de tout le reste.

Comprendre les intentions de l'autre, c'est pouvoir hiérarchiser les éléments du contexte. On est d'accord que la présence du panneau vert, là-haut, avec écrit « sortie de secours », dans le propos qui est le mien tout de suite et l'attention que vous y portez, n'a aucune espèce d'importance. Si tout à coup, il y a le feu, ça devient très important. Je veux dire que cet élément existe là, il est présent dans notre contexte, mais nous l'avons hiérarchisé, c'est-à-dire que nous l'avons mis de côté. Ces enfants ont excessivement de difficultés à faire ce travail-là, c'est-à-dire ce travail de hiérarchisation des éléments contextuels pour pouvoir être au bon moment dans la bonne réponse. À nous d'essayer de leur simplifier les choses.

Après se déroulent les classes primaires qui, paradoxalement, leur posent moins de difficultés, parce que les choses sont beaucoup plus stables, parce que les apprentissages disent plus clairement leur nom : « Cette année on va apprendre à écrire, à lire, etc. »

Quelles sont les conditions (je vais assez vite, et c'est un peu plus décousu que ce matin, peut-être dans le jeu des questions/réponses arriverons-nous à préciser les choses), quelles sont ce que j'observe moi des conditions requises pour qu'une intégration scolaire ait quelque chance d'aboutir ? Il y a plusieurs choses. Il y a une pression importante sur les enseignants.

Un enseignant de CP a vingt-cinq enfants en début d'année, et l'objectif est que ces vingt-cinq enfants, à la fin de l'année sachent lire, commencent à écrire, dénombrent, etc. C'est une pression qui est féroce. Quand un enfant arrive parmi ces vingt-cinq et qu'il n'est jamais disposé à faire comme les autres, que quand on donne une consigne, qui est une consigne en plusieurs étapes, par exemple « ouvrez votre trousse, prenez votre règle, votre stylo vert et soulignez tous les mots commençant par A », ces enfants autistes n'y arrivent pas, il y a trop de consignes. Ils sont perdus, il faut reprendre. Si on est à côté de lui, on lui dit : « ouvre ta trousse », il ouvre sa trousse, puis : « prend ton stylo vert », il prend son stylo vert, puis : « prend ta règle », il prend sa règle, quand on lui dit : « souligne les mots qui commencent par A », il souligne les mots qui commencent par A. Mais il faut être à côté de lui et le lui dire étape par étape.

Pour peu que les élèvent soient un peu agité, parlent … Ça le met dans un embarras terrible. Il ne peut pas se concentrer dès lors qu'il y a un brouhaha. Il y en a qui se lèvent en disant : « mais ce n'est pas possible, qu'est-ce que c'est que cette classe, vous pourriez vous tenir tranquille ! » Vous imaginez quand un enfant dit cela aux autres dans une classe, quelle position il occupe immédiatement et comment les autres le regardent. Donc, il y a toute une série de choses qu'on doit prendre en considération pour les accompagner dans cette scolarité.

Ceci est rendu possible, et j'insiste beaucoup là-dessus, par la présence d'un auxiliaire de vie scolaire. L'auxiliaire de vie scolaire a une fonction spécifique auprès de ces enfants. Il doit expliciter les choses, redécouper par étapes, s'assurer que l'enfant a bien compris, l'accompagner dans la réalisation …

Exemple : les enfants autistes ont du mal à apprendre à écrire parce qu'ils écrivent très longtemps avec l'épaule ; ça donne un graphisme pas très élégant et ça leur prend un temps considérable pour que ce graphisme, qui normalement ne serait pas très élégant si j'écrivais seulement avec l'épaule, devienne montrable. Et donc un travail par écrit, c'est pour eux infernal. Parce qu'ils ont répondu à une demi question alors que tout le monde a déjà fini. Et alors même qu'ils ont sans doute les connaissances pour répondre à l'ensemble des questions.

L'auxiliaire de vie scolaire est là pour écrire sous la dictée de l'enfant à ce moment, si l'objet est de savoir ce qu'il sait. Si je veux percevoir ce qu'il sait, alors mettons-nous dans de bonnes conditions pour essayer de saisir ce qu'il sait. Si d'entrée le moyen que je me donne pour essayer de repérer ce qu'il sait ne convient pas du tout, évidemment ce que je vais noter c'est : est-ce qu'il sait, est-ce qu'il ne sait pas ? Je ne sais pas, mais en tout cas, il n'arrive pas à écrire. Ce n'était pas l'objet de la question initiale. Donc l'auxiliaire de vie scolaire a un rôle fondamental.

Il a aussi un rôle fondamental parce que ces enfants, pour les raisons neurosensorielles que j'ai évoquées tout à l'heure, pour des raisons d'anxiété, de joie, d'excitation, etc., ont parfois des troubles du comportement, et que dans ces moments-là il faut qu'ils puissent s'isoler, se récupérer. Or aujourd'hui, le système de responsabilité aidant, on ne met pas un enfant tout seul dans un coin dans une école. « Vous comprenez, il n'a pas envie d'aller en cour de récréation. » Eh bien oui, beaucoup d'enfants autistes ne vont pas en cour de récréation. C'est insupportable, la cour de récréation pour eux. Il y a trop de bruit, il y a trop de choses … Certains y participent volontiers, d'autres, la plupart, ont beaucoup de difficultés. Est-ce absolument nécessaire qu'un enfant aille en cour de récréation ? Si c'est un enfant au développement traditionnel, bien sûr, mais on n'est pas dans le champ du développement traditionnel.

Le développement, les étapes du développement, les étapes d'acquisition des connaissances, sont très différentes chez ces enfants par rapport aux enfants au développement traditionnel. C'est comme ça. Ils n'ont pas besoin de passer par les mêmes étapes que les autres, parfois ils vont plus vite pour certaines choses, parfois ils sont plus lents, ils butent sur d'autres choses.

Je prend un exemple : jeune fille de dix ans, pas suivie du tout par qui que ce soit, scolarisée. Elle ne sait pas lire. Les enseignants en fin de CP décident que malgré tout elle doit passer en CE1 parce qu'elle a l'air intelligente, elle comprend bien … Fin de CE1, elle ne sait toujours pas lire mais on la fait passer en CE2 parce que, encore une fois, elle a l'air d'avoir suivi, d'avoir compris. Fin de CE2, elle ne sait toujours pas lire mais on décide de la faire passer en CM1 pour les mêmes raisons. Cette enfant met en place des processus de lecture en juillet entre le CE2 et le CM1. En août, elle lit toute seule le Petit Prince, c'est-à-dire que ce qui lui a posé problème, c'est la mise en place des processus de lecture.

Alors on pourra discuter : est-ce qu'elle est dans une famille très intellectuelle, dans laquelle on lit beaucoup, pas beaucoup … D'accord. Sûrement d'autres enfants auront plus de facilité pour apprendre la lecture parce qu'ils sont dans une famille où on lit plus. Mais ils auront d'autres difficultés ailleurs. Ce que je voulais montrer par là, c'est que ce qui lui a posé problème, c'est la mise en place des processus de lecture. Pour le reste, tout allait bien puisque quand ces processus sont enfin en place, elle rattrape très largement. Cette hétérogénéité du développement et des apprentissages est un aspect très interrogeant pour nous.

Aujourd'hui, je constate qu'à l'école, très souvent, c'est la fin de la grande section de maternelle qui est un moment charnière en ce qui concerne les enfants autistes. Je plaiderais plutôt pour qu'on recule d'une année ce moment très charnière et qu'on se pose la question à la fin du CP. C'est-à-dire que l'enfant sera dans des conditions de scolarisation qui lui conviendront un peu mieux. En fin de CP, s'il est effectivement totalement perdu, peut-être faut-il recommencer, peut-être faut-il s'y prendre autrement. Peut-être faut-il à ce moment-là s'adresser à des classes spécialisées. Mais très clairement, ça me semble trop tôt que de se poser ces questions en fin de grande section de maternelle alors même que la maternelle est la pire, j'exagère, est une des conditions de scolarisation qui leur complique le plus la vie.

Évidemment, on a des classes spécialisées, CLIS, UPI, et, je ne vais pas faire de tri en disant : « il y a des bonnes CLIS et des mauvaises CLIS. » Il y a des CLIS qui ont un souci permanent d'intégrer ces enfants en classe traditionnelle : dès que possible ils vont y passer des petits temps, puis, dès que possible ils s'inscrivent dans la classe traditionnelle. Ces CLIS-là remplissent exactement leur fonction de CLIS. Il y a un niveau d'exigence en terme d'apprentissages qui colle exactement à l'exigence normale d'un apprentissage CP, CE1, CE2, CM1 … Il y a des CLIS, qui sont moins dans cette préoccupation-là, où chacun essaie d'avancer à son rythme, et comme le rythme est très lent, alors tous avancent très lentement.

Il faut qu'ils soient confrontés aux apprentissages et qu'ils mettent eux-mêmes en place les mécanismes de contournement cognitif de leurs difficultés. Ils emploient des chemins de traverse en permanence, chemins de traverse qui leur permettent d'avancer. Il faut les encourager : tu vas voir, tu vas réussir, essaie encore. Parfois ils en emploient un qui leur permet d'avancer un petit peu. Ça risque de buter, il faudra découvrir un nouveau chemin de traverse. Quand on est dans une hypostimulation d'apprentissage, il y a d'autres stimulations à côté de l'apprentissage, mais quand on est dans une hypostimulation de l'apprentissage, ces enfants sont dans un hypoapprentissage.

Alors, évidemment, à côté de la scolarisation, il est nécessaire de mettre en place un certain nombre de prises en charge adaptées autant que de besoin. Si on arrive déjà à l'idée qu'un mi-temps en primaire le matin, à un moment où les apprentissages les plus fondamentaux sont faits, est suffisant pour un enfant autiste, en règle générale ça peut l'être, ça veut dire que l'après-midi il peut bénéficier de soins adaptés, en hôpital de jour ou en prise en charge ambulatoire. Ces enfants apprennent souvent à lire par photographie, ils photographient les mots.

J'ai eu des débats avec des instituteurs, infinis. Un enfant, par exemple, avait photographié tellement de mots qu'il était capable de lire pratiquement un livre entier. Est-ce ça savoir lire ? On est bien d'accord que non : si je lui donne un mot qu'il n'a encore jamais vu, il est incapable de le déchiffrer. Acceptons cependant que ce soit l'étape pour avancer vers l'apprentissage de la lecture. Cet enfant-là, une prise en charge très spécifique en orthophonie, visant à retravailler la conscience phonologique, c'est-à-dire un travail de lecture phonologique, a permis très rapidement qu'il puisse lire totalement. Par ailleurs, il est agaçant : il a six ans, il est intéressé par le système solaire et quand il vient à ma consultation, il me demande à quelle distance se trouve Platon de Saturne. Et je suis incapable de répondre. Donc, il est par moment très troublant. Et à l'école c'est pareil.

Autre condition favorable à la poursuite de la scolarité : ces enfants ont très souvent besoin d'un tuteur. C'est très difficile de dire à un autre enfant : « tu vas être le tuteur de celui-là. » Ça doit se mettre en place naturellement au fil du temps. Je plaide donc pour que ces enfants, quand ils fréquentent une classe, puissent fréquenter la même classe le plus longtemps possible, de façon à ce que, assez spontanément et assez naturellement, un tutorat se mette en place. Ce sont souvent des petites filles à ce moment-là, peut-être parce qu'elles sont plus attentives, plus matures, je ne sais pas exactement, mais ce sont souvent des petites filles qui vont le chercher dans un coin de la cour quand il n'est pas bien, l'accompagnent, sont attentives à ce qu'il ait bien apporté son cahier pour faire ses devoirs le soir, etc. … le prennent par la main, d'une certaine façon.

Enfin, si ces enfants ont très clairement et très précocement conscience de leur différence, j'ai dit tout à l'heure que les autres enfants, évidemment, se rendaient compte très rapidement de la différence de cet enfant. Et alors là on a tous les mots d'enfants qui sortent. Les enfants ne sont pas très tendres les uns avec les autres, ça y va fort dans les cours de récréation.

Il est important que ces enfants puissent montrer qu'il y a des choses qu'ils réussissent mieux que les autres, qu'on leur donne la possibilité d'être étonnants. Parce qu'à ce moment-là, le regard des autres change : ce n'est plus seulement un enfant en difficulté, un enfant différent, ou fou, ou tout ce que vous voulez, c'est un enfant qui peut peut-être nous filer un coup de main le jour où on a une interrogation sur la question. Ou c'est un enfant qui va nous surprendre. Ça rend ambigu, complexe, le regard des enfants sur cet enfant-là et je crois que ça c'est assez profitable également. Et puis enfin, ce que disait Pierre Le Hunsec tout à l'heure, ça renvoie à cet enfant une image positive. Il est capable de nous montrer des choses que les autres ne sont pas capables de faire.

Juste après moi, doivent intervenir deux adultes, tous les deux ayant un syndrome d'Asperger. Lila, que vous verrez, n'a rencontré de psychiatre que l'année dernière. C'est peut être sa chance … Je veux dire par là qu'elle s'est débrouillée sans nous, elle et ses parents se sont débrouillés sans nous. Ça n'a pas été facile, ni simple, et ça n'a pas toujours été un parcours semé de fleurs. Mais après tout, qu'est-ce que chez ces adultes que je rencontre, qu'est-ce qui s'est mis en place spontanément, naturellement, d'une façon miraculeusement dure au hasard ? Mon travail, c'est de repérer ça et d'essayer de le reproduire, pour offrir à tout le monde ce qui aujourd'hui appartient encore à des parcours exceptionnels.

Je pourrais donner d'autres exemples d'enfants qui ont été suivis en pédopsychiatrie et qui ont les mêmes résultats. Donc je ne suis pas en train de faire une attaque contre moi-même, mais qu'est-ce que moi je repère de ces conditions nécessaires pour que ceci ait pu se dérouler de cette manière et que je puisse éventuellement reproduire et mettre en forme pour tous ces autres enfants ? Voilà, merci de votre attention.

Débat

Question :

C'est plus une information que j'ai à apporter. Je suis instituteur, j'ai, intégré dans ma classe, un enfant atteint d'un syndrome d'Asperger et notre inspecteur nous a réunis pour nous annoncer que toutes les classes spécialisées allaient être supprimées et que tous les enfants, quelle que soit leur pathologie, allaient être intégrés dans le cycle dit normal.

Éric Lemonnier :

Ce n'est pas une approbation que vous me donnez là, c'est une information qui n'est pas sans m'inquiéter non plus. Je veux dire par là que nous réagissons toujours en tout et rien, là où il faut mettre de la souplesse. L'enfant est fatigué cet après-midi, il reste à la maison, il dort, il se repose. Ce n'est pas très grave, il reviendra demain. Il vaut mieux qu'il passe une après-midi à se reposer et que le lendemain il soit plus disponible plutôt que de dire : « quoiqu'il arrive il faut y aller, si tu rates une demi-journée c'est dramatique » … Il faut intégrer énormément de souplesse dans notre démarche et donc avoir l'ensemble du dispositif à la disposition de ces enfants.

Question :

Mais ça demande aussi, de la part de l'enseignant, un investissement, une forme de volontariat, et c'est vrai qu'aujourd'hui si on impose dans des classes en maternelle où il y a trente, trente-cinq enfants, un enfant avec de grosses difficultés, on court à l'échec.

Éric Lemonnier :

Je suis absolument d'accord. Une des conditions que je n'ai pas citée tout à l'heure, mais vous avez raison d'insister là dessus, c'est la participation volontaire, si je peux dire cela comme ça, de l'équipe enseignante.

Question :

Pour répondre à la personne qui vient de parler, c'est vrai que les CLIS ne vont plus exister, mais il ne faut pas non plus perdre de vue que nous avons besoin des auxiliaires de vie scolaire, et qu'il ne faut pas que derrière tout cela se profile la suppression de l'aide pour ces enfants-là. Je suis très méfiante, parce que l'autisme est de tous les côtés, là.

Éric Lemonnier :

Je comprends que vous puissiez dire cela, mais j'évite d'utiliser les termes de psychopathologie dans le langage quotidien, parce que sinon, ils perdent de leur sens et de leur réalité. C'est juste une remarque comme cela au passage. Tout à fait d'accord, nous sommes dans une période de régression sociale et effectivement, il existe toujours ces dangers, ces risques-là.

Question :

Bonjour, je suis inspecteur de l'Éducation nationale et je me sens obligé de réagir. Vous avez rencontré votre inspecteur de l'AIS [1], moi aussi je le rencontre tous les jours. Une circulaire est sortie au mois d'août, c'est vrai, concernant l'intégration des enfants handicapés, et il y a eu des inquiétudes, à la rentrée, concernant les classes spécialisées. Actuellement, des circulaires sont en train de sortir et les choses évoluent de manière beaucoup plus nuancée que ce qui vient d'être dit.

Éric Lemonnier :

Merci pour cette information.

Question :

J'aurais juste une petite question, à savoir si vous connaissez la méthode TEACCH et savoir ce que vous en pensez. Je ne sais pas du tout si c'est pratiqué ici dans le Finistère, ou en France, je sais qu'en Belgique c'est beaucoup pratiqué en écoles spécialisées.

Éric Lemonnier :

Comme je l'ai expliqué ce matin, il apparaît que tout ce qui est apprentissage implicite a beaucoup de mal à se mettre en place chez ces enfants. La méthode TEACCH, a priori, semble répondre assez bien à ce constat. Effectivement, il faut utiliser des méthodes s'approchant de la méthode TEACCH, un TEACCH réaménagé, éventuellement, mais on doit pouvoir s'appuyer sur des méthodes comme cela pour mettre en place les apprentissages qui spontanément ne se mettent pas en place.

Je n'ai qu'un point de discussion, ce n'est pas un reproche, mais une discussion, avec les tenants de la méthode TEACCH, c'est qu'ils ont développé des outils d'évaluation des enfants pour mesurer ce qui était émergent de ce qui était présent ou de ce qui était absent, et ceci modélise le développement de ces enfants comme comparable au développement traditionnel. Ne nous battons pas sur des éléments du développement qui sont émergentes ou qui ne sont pas apparues et qu'on pense qu'il est important qu'elles soient apparues pour que la suite apparaisse. Il y a des choses qui n'apparaîtront pas. Mais ça n'empêchera pas d'avancer.

Cette enfant, elle n'a pas appris à lire, et cela ne l'a pas empêché de profiter des apprentissages jusqu'en CE2, sans savoir lire. Est-ce que la méthode TEACCH est pratiquée ici ? Pas beaucoup. Disons que de ce point de vue, chacun d'entre nous commençait à avancer sur la façon dont il faut s'y prendre et fatalement on intègre des éléments de la méthode TEACCH. Je dois avouer que Jacques Constant, qui est un éminent collègue de Chartres, a été un des premiers en France à mettre en place cette méthode dans un hôpital de jour, et qu'il fait beaucoup aujourd'hui pour diffuser ces pratiques et qu'il s'y prend bien mieux que moi.

Question :

J'aurais voulu vous poser une question sur la place de l'orthophoniste dans votre dispositif. Je suis moi-même orthophoniste libérale dans le Morbihan. Vous parliez de bâton de pèlerin auprès des écoles. Quand les malheureux parents, dont le témoignage représentait le parcours du combattant que cela peut représenter, souhaitent avoir l'intervention d'une orthophoniste auprès de leur enfant, ce n'est pas rare qu'ils se fassent houspiller par les équipes soignantes CPEA et autres, avec lesquelles par ailleurs j'ai de bons rapports. Pourriez-vous précisez la prise en charge orthophonique que vous préconisez ?

Éric Lemonnier :

Il y a plusieurs moment différents, dans l'évolution de ces enfants, où les orthophonistes sont tout à fait nécessaires. J'évoquerais la situation de cet enfant dont le père est anglais et qui a vécu jusqu'à l'âge de cinq ans en Angleterre. Il arrive en France aujourd'hui et vient me voir en consultation. À seize mois, le diagnostic est évoqué en Angleterre, à seize mois on pose l'indication d'une prise en charge orthophonique.

Je pense aujourd'hui très clairement que dès que le diagnostic est évoqué, une prise en charge orthophonique doit s'installer, avec des méthodes tout à fait adaptées. Celle que je connais le mieux et qui semble donner le plus de bénéfices, c'est le PECS. Donc je m'appuie sur le PECS. Pourquoi pas essayer de trouver des méthodes tout aussi efficaces voire plus efficaces.

On a une collègue à Rennes qui a installé une prise en charge orthophonique dans son hôpital de jour pour tout petits enfants. Je l'ai visitée l'année dernière : les quatre enfants qui sont pris en charge chez elle ont tous les quatre développé le langage. Pas du même niveau, pas de la même façon, pas de manière aussi souple.

Dix-huit mois. Il faut dix-huit mois entre le début de la prise en charge et le moment où le langage va devenir fonctionnel, c'est-à-dire avec des phrases. Après, on ne s'arrête pas là. L'orthophoniste doit évidemment travailler autant que de besoin sur tous les problèmes classiques de l'orthophonie, l'expression, l'articulation, etc. Il y a aussi l'aspect de la pragmatique du langage, qui est très problématique, et là encore on doit pouvoir les aider. Éventuellement sur l'écriture, alors ça peut être éventuellement fait par des graphomotriciens, des psychomotriciens ou des orthophonistes, ça sera étape par étape autant que de besoin.

Il y a une autre situation qui est la nôtre en unité de soin : nous avons très peu de temps d'orthophonie. Nous n'avons en aucun cas les moyens de proposer de l'orthophonie à tous les enfants qui sont pris en charge chez nous. Si bien que, ce n'est pas élégant de le dire, mais c'est comme ça que ça se passe, nous sommes contraints à avoir des indications prioritaires et des indications qui ne semblent pas prioritaires, en raison du fait que l'on ne peut pas offrir cette aide à tous. Il me semble absolument indispensable de pouvoir s'en ouvrir éventuellement aux parents (je crois que c'est mieux de s'en ouvrir aux parents directement dans ces termes-là) et de s'appuyer, autant qu'il est possible de le faire, sur les orthophonistes libéraux. Dans un échange étroit. Après, nous aurons toujours des différences, des discussions, mais ni vous ni moi ne seront abîmés par nos désaccords. En revanche, l'enfant peut payer cher le prix de nos désaccords.

Question :

J'ai écouté avec intérêt votre propos sur la nécessité de la scolarisation des enfants autistes. Je m'interroge sur les objectifs de la scolarisation en maternelle après ce que vous avez dit. Donc j'aurais besoin de plus de précisions sur ces objectifs-là, qu'on vise à atteindre en proposant la scolarisation d'un enfant autiste en maternelle.

Éric Lemonnier :

C'est assez compliqué. Il y a plusieurs éléments dans la scolarisation en maternelle. D'abord se familiariser, au sein d'un groupe d'enfants qui idéalement va l'accompagner dans son parcours scolaire. Mon fils était en école maternelle, il est passé en CP, en CE1, et c'est en gros les mêmes copains qu'il a retrouvé année après année. Donc il y a cet aspect-là.

Il y a aussi l'aspect d'une espèce de message, le terme est dévoyé aujourd'hui mais je n'en ai pas d'autres qui me viennent à l'esprit, à l'égard de l'enfant, qui est de lui dire : « tu as la possibilité toi aussi d'être au sein des autres enfants de ton âge au développement traditionnel », normaux quoi.

Enfin, dernier aspect : ces enfants butent sur des processus de pensée. Je ne sais pas très bien, je n'ai pas moyen, sauf avec la méthode PECS, sauf avec quelques autres choses plus tardives, plus tard, de leur indiquer quel processus ils pourraient utiliser pour se dégager de ce sur quoi ils butent. Et après tout je mets au défi quiconque de pouvoir le dire aujourd'hui clairement, systématiquement.

C'est-à-dire que ces enfants vont faire un apprentissage fondamental à la maternelle, qui est : « débrouille toi pour trouver des processus pour contourner tes difficultés, et tu y arriveras. » La maternelle n'a pas cette pression d'apprentissage aussi forte, pour qu'il n'y arrive pas. Elle lui laisse le temps de mettre en place des trucs et de faire l'expérience qu'il ne va pas faire comme les autres, qu'il va s'y prendre avec ses propres moyens, mais qu'il ne faut pas qu'il se décourage. Il n'a pas le choix, toute sa vie, il sera confronté à cela. Donc voilà, je porte mon attention sur cet objectif.

D'une certaine façon, voilà un apprentissage très implicite, mais qui est celui qu'il me semble nécessaire à ce moment-là de saisir, de façon à ce qu'après il soit tout à fait prêt et d'accord pour aller à l'école. Par ailleurs, ce sont des enfants qui ont une mémoire phénoménale, une mémoire visuelle surtout, alors il faut aider la mémoire visuelle, l'auxiliaire de vie scolaire est là pour ça. Ils apprennent et ils ont parfois une soif très importante de savoir.


[1] Adaptation et intégration scolaire




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